La terrible oppression des animaux mignons

Depuis hier, un étrange phénomène pullule sur ma timeline Facebook: un nombre important de statuts invite à poster des photos d’animaux mignons pour  » rompre la chaîne des photos des animaux maltraités. » Ce n’est pas la première fois que des statuts dont le but est de rompre avec une chaîne quelconque (indifférence à l’art, au cinéma…) invite les facebookiens à partager des images ayant un lien avec ladite chaîne. Dans l’absolu, il n’y a donc pas à s’émouvoir outre mesure que l’effet de cette mode s’empare aussi des animaux. Mais il y a un problème qui me chagrine, surtout si on le replace dans le contexte.

Le contexte, parlons-en. A moins que vous ne viviez dans une cave, vous avez tous entendu parler de ce fait-divers qui a indigné toute la France (ou presque): un individu sadique, « Farid de la Morlette » de son nom Facebook, s’est amusé à balancer un chaton dans les airs puis contre un mur, le tout en étant filmé et en balançant la vidéo sur Facebook. Il crée le buzz, provoque la colère d’à peu près tout le monde, reçoit des menaces de mort, se fait inculper, se fait rattraper par la justice, et reçoit la peine la plus lourde jamais prononcée en matière de cruauté envers les animaux (soit un an de prison ferme). Oscar, le chaton, est récupéré par la SPA locale, s’en tire avec quelques fractures, se remet doucement de ses blessures. Tout se termine bien me direz-vous.

Or, c’est après ce tollé médiatique que se met à pulluler sur les réseaux sociaux ces statuts qui invitent à  » rompre la chaîne des photos des animaux maltraités » (d’accord, je me répète, mais je n’arrive décidément pas à m’en remettre).

La question que je me pose, c’est, qu’à part la vidéo de ce pauvre Oscar partagée un peu partout, où donc voit-on des images d’animaux maltraités? Car à moins que vous ne traîniez assidûment sur des sites web ayant un lien avec la protection animale, on ne peut pas dire que les réseaux sociaux en général sont un nid à images gores. Moi-même j’ai bien du mal à regarder ce genre de photos (pour tout vous avouer, je n’ai même pas voulu regarder la vidéo de Farid) tant la cruauté envers les animaux me révulse. Quand j’ai regardé le film Earthlings*, j’ai pleuré pendant deux heures. En fait, il n’y a guère que les militants de la cause animale ou des végétariens de tout poil pour s’émouvoir de la cruauté envers TOUS les animaux.

Car ce qui me gêne le plus, avec ce partage de photos d’animaux mignons, c’est qu’on touche du doigt un des fondements de notre société, qui est le spécisme. Le spécisme, mot relativement récent pour désigner un concept vieux depuis au moins l’antiquité, « désigne la discrimination fondée sur le critère de l’espèce » (définition Wikipédia). Cela signifie, en clair, qu’il y a des espèces plus importantes que d’autres. Cela signifie aussi que l’humain est considéré comme supérieur et que cela lui donne à peu près tous les droits. Outre le fait que cette dernière affirmation est fausse (si l’humain disparaissait de la surface de la Terre, celle-ci n’en aurait pas grand-chose à secouer. Supprimez par contre les abeilles, et c’est la mort programmée de toute forme de vie.), elle sert de justification à bon nombre de nos comportements, parmi lesquels manger de la chair animale trône en première place.

Mais attention! pas n’importe quelle chair animale ! Le spécisme est là pour nous dire quelles espèces aimer et chérir, et quelles espèces tuer et manger. Les premières ont bien de la chance, là où les deuxièmes n’avaient qu’à êtres mignonnes pour espérer le salut.

Un chat, c’est mignon. Un chien, aussi (je suis assez dubitative face à ce fait mais bon cela n’engage que moi). Les lapins, tant qu’ils sont nains, aussi. Ils auront donc droit à nos soins, à notre amour, à ce que leur souffrance nous indigne. Jamais nous ne mangerons de leur chair, car nous avons un rapport privilégié avec eux.

Par contre, un cochon, surtout adulte, c’est gros, c’est moche, c’est con (ah bon?). Une vache, c’est pas mignon. Une poule c’est con. Un poisson ça pue, et c’est doublement moche. On peut donc les asservir, les tuer, les manger. On peut leur donner des coups de pied si ça nous chante, on peut les castrer à vif, leur couper le bec, les ailes, les queues, on peut les laisser crever la gueule ouverte, on peut les tuer par milliards. On peut, ce n’est que du bétail.

Un chat peut ressentir de la souffrance et en cela, il mérite notre protection.

Une poule peut ressentir de la souffrance et en cela, elle n’aura que notre mépris.

Donc excusez-moi de ne pas partager de photos d’animaux mignons pour rompre la chaîne d’animaux maltraités. Car être mignon n’est pas un critère valide pour mériter de vivre.

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*Earthlings: (Terriens en français) Documentaire sorti en 2005 traitant du sort que l’on réserve aux animaux et plus particulièrement à ceux que l’on mange. Des vidéos très dures sont montrées, souvent tournées clandestinement par des activistes de la cause animale.